David Douard at 8 rue Saint-Bon, Paris
28 June–16 July 2011, Paris
Quand les concepts de l’art se mettent à fonctionner comme des petits jetons, et que les images que s’approprient et font circuler les artistes deviennent littéralement de la petite monnaie, il arrive aux voix de ces derniers – comme aux sens de leurs propositions – ce qu’il advient de la voix de la conscience après les découvertes de la psychologie : on n’en considère plus que la simple mécanique, affaire de routine plus ou moins efficace. Il devient même préférable d’emprunter les mots, les images ou les formes d’un autre, puisqu’il convient avant tout d’offrir des points de repères, des coordonnées, des motifs de conversation, plutôt que de dire quelque chose. Ce déterminisme imposé au langage signifie en même temps l’inertie de celui-ci : la relation entre les formes et ce qu’elles pourraient exprimer est rompue. Et quand par hasard on n’est pas certain de reconnaître une référence, un symbole, que s’instaure une pause, une saute de registre ou de sens non prévue par le code, c’est la panique. On s’habitue si bien à manquer d’imagination.
Assemblages d’objets trouvés, d’impressions d’images ou de textes et d’éléments sculptés, bois, métaux, les pièces de David Douard ne ressemblent au départ pas à grand-chose de déchiffrable. La logique de l’amalgame qui semble présider à la rencontre de balles de ping-pong et de vieux jeans sur une dalle de plâtre contrarie l’esprit de classement. La syntaxe commode du collage et de la citation laisse sa place à une dynamique brouillonne, déconcertante, du dedans vers le dehors, de la cassure au raccroc, du transpercement à la chute. En se combinant, les formes s’estompent, perdent leurs qualités; leur sens tout fait se dissout. Démantelées, rechargées, elles vont rimer avec autre chose ; d’autres voix commencent à percer. Ce n’est pas par hasard si un plâtre semble l’empreinte d’un corps, si la mesure des sculptures demande qu’on aille à leur rencontre, et si en se répétant une petite sphère de plastique devient organique. Il suffit d’être attentif.
Par ces rythmes, ces jeux d’attraction, l’enjeu est cependant bien de faire figure, de donner corps à des « problèmes » – il ne s’agit pas de rendre intelligible quelques abstractions, ou de rendre plus présents des clichés déjà omniprésents. Il y a des expériences dont la formulation est devenue difficile, des idées dont on ne peut ne défaire que si l’on peut, tout simplement, les imaginer, en tenant le pari de la métaphore privée, de l’image particulière, du truc pas clair. Qu’on commence par se dire que, objectivement et subjectivement, un blue jeans est un bleu de travail. Qu’une balle rime avec peau ; qu’un cerveau se croit souple, une personne ouverte, une conscience claire. Dans le travail de David Douard, tout se joue dans les relations effectives entre les formes et les sens qu’elles font désirer, les associations d’idées qu’une couleur laisse glisser, les contraintes auxquelles un relief s’adosse. Comme les adolescents décrits dans une note d’Adorno, ses sculptures enfoncent les mains dans leurs poches, pour bien montrer qu’elles ne dépendent et ne doivent de respect à personne – mais leurs coudes qui dépassent sont prêts à bousculer qui passerait à côté sans bien y regarder à deux fois.
Benjamin Thorel